Le chant de Corbeau by Lee Maracle

Le chant de Corbeau by Lee Maracle

Auteur:Lee Maracle
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782897125363
Éditeur: Mémoire d'encrier
Publié: 2019-01-11T00:00:00+00:00


10

Il y avait quelque chose de différent dans l’air ce matin. Stacey regarda autour d’elle pour déterminer ce que c’était. Ah, l’odeur de l’humidité. Le temps devait à tout le moins être nuageux. Peut-être que la sécheresse est terminée, pensa-t-elle en enfilant ses vêtements à toute vitesse. Dans la cuisine, sa mère remuait le gruau et préparait le bacon et la bannique. Le jeune Jim était assis et attendait son repas. Au début, Stacey avait été agacée par cette nouvelle attitude de son petit frère, mais elle s’y était faite peu à peu. Après tout, il ne manquait jamais de bois pour la cuisson et la remise regorgeait de viande mise à sécher. Jim n’était ni paresseux ni idiot. De plus, il avait assimilé la coutume immuable des hommes salish de complimenter la cuisinière, ce qui compensait en quelque sorte l’insolence de son attitude.

Le jeune Jim se comportait comme son défunt père avec les femmes de la maison. Il donnait l’impression d’être comblé en leur compagnie. Il n’y avait aucun autre endroit au monde où il aurait voulu s’asseoir à attendre patiemment que les femmes remuassent l’air avec leurs rires, leur rage ou leurs larmes, à leur discrétion, tant il se plaisait en leur présence. Et quand elles lui adressaient la parole, il faisait toujours preuve d’une courtoisie modeste et répondait de manière complète, franche et posée. S’il lui arrivait parfois de demander à sa mère de quelle quantité de viande ou de poisson séché elle avait besoin, la plupart du temps, il vaquait à ses occupations masculines avec une confiance tranquille. Il avait treize ans aujourd’hui.

Le jeune Jim, ainsi que Ned, était dorénavant responsable d’approvisionner la famille en nourriture. Jusqu’au jour où il quitterait la maison, c’était donc à lui de prévoir quelle quantité il fallait et pour combien de personnes. Comme il ne pouvait pas lui poser la question ouvertement, il cherchait un moyen d’amener Momma à lui indiquer si elle avait l’intention d’avoir d’autres enfants. Il devait choisir ses mots avec soin pour ne pas lui donner l’impression qu’il voulait se mêler de ce qui ne le regardait pas ou influencer ses choix de quelque manière.

— Une année, c’est si vite passé, puis ce sera de nouveau le printemps, fit-il remarquer sur un ton enjôleur.

Momma capta le signal, mais la mention du printemps manquait de précision. Malgré ses efforts, le jeune Jim n’avait pas encore acquis la subtilité qui vient avec l’âge. Il avait évité de lui poser la question directement, certes, mais il n’avait pas réussi à se faire comprendre. Momma répondit qu’elle se sentait seule, ses enfants étant maintenant grands alors qu’elle-même était encore si jeune.

— Les rires d’une bande d’enfants feraient du bien, répliqua Jim.

Momma ne répondit pas et ils mangèrent tous en silence. Tout allait bien pour le jeune Jim. L’avenir se dessinait exactement comme il s’y était toujours attendu. S’il avait de la peine d’avoir perdu son père, il était tout de même satisfait de la tournure des événements.

Stacey avait un nœud dans la gorge en songeant à l’avenir de son petit frère.



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